Comme chaque année à cette période, le Secours populaire lance sa campagne “Pauvreté-Précarité” 2024 en publiant les résultats du sondage annuel Ipsos/Secours populaire sur la pauvreté et la précarité en France et en Europe. Pour faire court, la situation ne fait qu’empirer d’année en année, au point que deux français sur cinq avouent avoir traversé une période de “grande fragilité financière”. Zoom.
Entretien avec Pascal Dehaese, secrétaire général de la Fédération départementale du Secours populaire de Haute-Marne, par Hugo Thomas :
Pour sa 18e édition, l’étude comprend un baromètre sur la perception de la pauvreté et de la précarité en France et dans neuf pays européens (la manière dont elle est définie et redoutée, mais aussi vécue par une partie de la population), illustrant les enjeux de la pauvreté et de la précarité à l’échelle européenne, dont celui d’agir pour y faire face.
Un focus a été mis, pour la France, sur la précarité rurale et péri-urbaine.
La grande fragilité de nombreux ménages se reflète dans la hausse, pour la troisième année consécutive, du « seuil de pauvreté objectif » : une personne seule doit désormais disposer de 1396€ par mois soit 19€ de plus qu’en 2023 pour ne pas être considérée comme pauvre, selon les français. Or, à ce niveau, elle n’est qu’à 2€ du SMIC 2024 (1398€ nets pour un mois travail).
Une situation inédite ?
On peut considérer que cette situation est inédite car deux français sur cinq disent désormais avoir traversé une période de « grande fragilité financière » au moins à un moment de leur vie. Jamais ce niveau n’a été aussi élevé depuis le pic enregistré en 2013.
Le niveau de difficulté est tel qu’au total, 62% des français déclarent avoir connu la pauvreté ou avoir été sur le point de la connaître. Un chiffre en hausse de 4 points par rapport à 2023.
Cette fragilité financière touche d’abord les catégories populaires. Parmi les personnes vivant dans les communes rurales, zones où la population est constituée d’une part importante d’ouvriers et d’employés, le niveau monte à 69%.
De même, 57% des ruraux peinent à partir en vacances au moins une fois par an. C’est 9 points au-dessus de l’ensemble de la population. Et, hors des métropoles, 40% des répondants ont de grandes difficultés à disposer d’équipements numériques en état de fonctionnement. C’est 7 points de plus que l’ensemble des français. Une privation qui marginalise dans une société où l’accès aux services, et même aux services publics, a massivement migré sur internet.
Les fins de mois sont de plus en plus difficiles. On observe une nouvelle dégradation en 2024 sur de nombreux postes budgétaires essentiels tels que l’énergie, le logement ou l’accès à une mutuelle santé : jamais les difficultés enregistrées sur ces postes n’ont été aussi élevées. Près d’une personne sur deux a du mal à payer ses factures d’énergie : 47%, un nouveau record au terme d’une hausse de 2 points depuis 2023. Les factures sont si lourdes que 43% des personnes interrogées ne chauffent pas leur logement quand il fait froid, « parfois ou régulièrement ». De même, le coût du logement fragilise les familles à un niveau jamais mesuré auparavant : 38% ont des difficultés à payer leur loyer ou leur emprunt immobilier (+4 points). Et concernant la santé, 29% des répondants éprouvent de fortes contraintes pour disposer d’une mutuelle (+3 points).
Les personnes concernées redoutent-elles l’avenir ?
La crainte d’une transmission de la pauvreté entre générations est massivement partagée : 79% des Français estiment que les risques sont plus élevés pour les jeunes. C’est chez les parents d’enfants de moins de 18 ans que l’inquiétude est la plus grande (86%). Cette préoccupation s’est stabilisée à ces niveaux très élevés depuis 2018. Cela traduit un manque de confiance dans le
futur au vu de la calcification continue des processus de reproduction des inégalités.
Des cas similaires en Europe ?
La précarité touche l’ensemble du continent. Près de 3 personnes sur 10 se déclarent aujourd’hui en situation de précarité et près de la moitié de la population est concernée en Grèce (46%) et en Moldavie (45%). Une majorité des européens (56%) est contrainte de faire attention à ses dépenses. Seuls 15% déclarent avoir une bonne situation financière. Les revenus insuffisants sont la première des raisons expliquant la précarité. Dans près de trois quarts des cas (72%), la précarité résulte de revenus trop faibles. Avoir un travail ne signifie pas forcément bénéficier d’une situation stable. Plus d’un tiers des actifs (35%) déclarent que les revenus issus de leur activité professionnelle sont insuffisants pour faire face à l’ensemble de leurs dépenses. Au Portugal, en Grèce et en Serbie, ce sont près de 50% des actifs qui n’arrivent à couvrir leurs dépenses avec leur salaire.
Les privations sont nombreuses. Plus de la moitié des Européens (52%) a récemment dû se priver du fait de sa situation financière. Les loisirs sont les premiers à être sacrifiés : près de 2 européens sur 3 ont dû renoncer à des sorties (62%) et une proportion similaire de parents n’a pas pu faire de sorties ou profiter de loisirs en famille (68%). Plus d’un Européen sur deux (58%) a déjà dû restreindre ses déplacements et près de 1 sur 3 déclare avoir faim et même plus du quart est contraint de sauter un repas (27%).
Un avenir qui s’annonce incertain. Les européens sont pessimistes pour les générations futures. Selon eux, la situation est amenée à se détériorer et les jeunes auront plus de difficultés à obtenir un emploi stable (60%). Un logement décent (59%), des services de santé (52%) et de bonnes conditions de travail (50%). La situation est si tendue qu’1 habitant du continent sur 3 déclare ne pas pouvoir subvenir aux besoins essentiels de ses enfants (31%). A la lumière de ces chiffres, il est difficile de deviner que l’Europe est la zone la plus riche du monde.
Un point positif ? Oui, un…
Le sondage met en évidence que 66% des français souhaitent toujours s’impliquer pour aider les personnes en situation de pauvreté.
Hugo THOMAS